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MRE: Les dessous d’un revirement royal

23 novembre 2006

Encore une fois, la question de la représentation


Encore une fois, la question de la représentation des Marocains résidant à l’étranger (MRE) est soulevée par le roi dans le discours du 6 novembre, à l’occasion du 31 anniversaire du déclenchement de la Marche verte. Car, faut-il le rappeler, il y a un an jour pour jour, cette même question a été évoquée dans un discours similaire. Le chef de l’Etat marocain avait alors lancé des promesses concrètes, finalement non tenues : «Nous avons pris quatre décisions importantes et complémentaires les une des autres. La première consiste à conférer aux Marocains résidant à l’étranger la possibilité de se faire dûment représenter à la Chambre des représentants, de façon réaliste et rationnelle», (discours royal du 6 novembre 2005). Que voulait dire le roi par «de façon appropriée, réaliste et rationnelle» ?

Quelles modalités ?

La question mérite d’être posée car elle mettait en avant, tout simplement, les modalités de mise en œuvre de la “promesse” royale. Le même discours –c’est-à-dire celui du 6 novembre 2005- apporte quelques éléments de réponse, certes, mais ils restent insuffisants : «Quant à la deuxième décision, qui découle d’ailleurs de la première, elle porte sur la nécessité de créer des circonscriptions législatives électorales à l’étranger afin de choisir leurs députés dans la première Chambre du parlement». Sur le plan pratique, cette disposition pose problème : la diaspora marocaine étant éparpillée de manière inégale aux quatre coins du monde, comment se fera le “découpage” électoral dont parle le monarque ? Sur quelles bases ? Etatiques, en focalisant sur les Etats où l’immigration marocaine est massive (France, Italie, Espagne, etc.) ? Local, Régional, en focalisant sur des régions particulières au sein des pays d’accueil ? Ce “découpage” sera-t-il proportionnel aux “territoires” (et quels territoires ?) ou bien à la densité des MRE ? Et puis, une fois élus, les “représentants” des MRE doivent, bien évidemment, assister, participer au travail en commissions, débattre en séance plénière, voter, contrôler le gouvernement à travers des questions orales et écrites (portant sur les problèmes de la diaspora marocaine qu’ils représentent), etc. Ils doivent donc s’installer au Maroc et faire constamment le va-et-vient dans les pays d’accueil … Tout cela paraît difficile à mettre en oeuvre, ce qui fait du discours royal tenu le 6 novembre 2005 un discours irréaliste et les modalités qu’il avance difficiles à mettre en œuvre. Mais au-delà de toutes ces considérations, liées plutôt à la pratique, d’autres facteurs entrent en jeu. Parmi eux, le vote islamiste parmi les MRE. Selon les données dont dispose le département français de l’Intérieur, le courant islamiste serait très présent parmi la communauté marocaine, notamment l’actuelle génération. Toutes ces raisons semblent avoir pesé sur le discours du 6 novembre 2006 qui a totalement esquivé l’idée de représentation des MRE via la Chambre des représentants et mis plutôt l’accent sur le “Conseil supérieur de la communauté marocaine à l’étranger”.

Le parlement écarté

Prévu initialement par le discours du 6 novembre 2005, ce conseil est aujourd’hui propulsé par le roi pour se substituer, de manière active et intégrale, au rôle qu’aurait pu jouer la première Chambre dans la représentation des MRE. Ainsi, dans le discours du 6 novembre 2006, il n’est plus question, comme ce fut le cas dans celui de novembre 2005, de la “possibilité (pour les MRE) de se faire dûment représenter à la Chambre des représentants”. En revanche, il est désormais question de «confier au Conseil consultatif des droits de l’Homme (ndlr : instance officielle créée par Hassan II en 1990, aujourd’hui présidée par Driss Benzekri) … le soin de mener de larges consultations avec toutes les parties concernées en vue d’émettre un avis consultatif concernant la création de ce nouveau conseil … ». C’est cette démarche qui a été suivie en 2002 concernant le règlement du dossier des années de plomb et qui avait abouti à la mise en place de l’Instance équité et réconciliation (présidée par le même Benzekri). La représentation institutionnelle des MRE serait-elle en train de céder la place à une forme de représentation, plus politique, et étroitement encadrée par le roi ? Assistera-t-on à la mise en place d’un CORCAS bis, c’est-à-dire un doublon de ce conseil aujourd’hui fortement contesté par ses membres ? Aucune réponse tranchée ne peut être avancée, mais ces questions se posent avec une certaine acuité à l’intérieur et en dehors du Parlement. Car en se projetant en 2007, le roi, paraît-il, cherche à gagner du temps : «A la lumière des recommandations qui seront soumises à Notre Majesté en la matière, nous édicterons le dahir portant création du Conseil supérieur de la communauté marocaine à l’étranger que nous installerons, par la grâce de Dieu, au cours de l’année 2007». Quel rôle ce Conseil jouera-t-il par rapport aux futures élections ? Ses membres seront-ils élus ou nommés ? S’inspirera-t-on du modèle français et la représentation qu’assure, au Sénat, le Conseil supérieur des Français à l’étranger ? C’est une piste qui ne peut être écartée ... Mais d’abord qui, au sein du CCDH, pilotera cette opération ? Deux noms circulent déjà : Driss El-Yazami et Mohamed Benkhedda (membres du CCDH ayant participé, au sein de l’IER, au processus, très contesté, de réconciliation avec le passé répressif de la monarchie marocaine). Au sein de l’Hémicycle, le projet de loi électorale piétine encore et les députés ne savent plus comment se positionner par rapport à la question du vote des immigrés. Entre un discours royal qui, en 2005, promet une représentation au sein de la Chambre des représentants et, un an plus tard, un autre discours qui propose la mise en place d’un conseil politique à la CORCAS, les députés semblent désemparés. Mais quoi qu’il en soit, on espère, parmi la communauté marocaine à l’étranger, notamment en France, que ce futur conseil mette un terme, de manière définitive, à ce qu’on appelle “les amicales”. Ces “structures” avaient tristement marqué l’ère hassanienne. Driss Basri, l’ancien ministre de l’Intérieur, les utilisait comme des officines d’indicateurs, en collaboration avec les ambassades, pour “fliquer” les opposants et les étudiants. A ce niveau, au moins, l’évolution présente certains aspects positifs.

Omar Brouksy
Le Journal Hebdo  No 277

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